Philippe Ciaparra
PHOTOGRAPHE
Entretiens
Fotonostrum magazine, Juillet 2020
‘’Nous photographions ce que nous sommes‘’
Y a-t-il des thèmes récurrents dans votre travail? Quels problèmes aimez-vous aborder?
Quand je fais la synthèse de mon travail sur le paysage crépusculaire, j’y retrouve à chaque fois cette alliance entre la forme et l’équilibre et d’une manière générale les questions arrivent par eux-mêmes au fil du temps, elles sont générées par notre subconscient vis-à-vis de notre démarche créatrice, outre le fait de me retrouver à faire des photographies dans un état introspectif permanent, cela influe sur mon élan créatif non pas en tant que problématique mais en tant que questionnement sur l’atmosphère d’un lieu, j’ai en moi des photographies en devenir, toujours certain que la représentation va l’emporter sur le réel.
Mes photographies n’ont pas que seule fonction de montrer la réalité.
Qu’est-ce que tu veux exprimer avec tes photographies et comment fais-tu pour le faire ?
Ce que je veux exprimer avec mes photographies reste énigmatique, plus je me pose cette question et moins j’ai de réponses. Ceci dit, je crois que cette atmosphère crépusculaire dans les lieux que je photographie, ce sentiment d’enfermement qui m’aide à atteindre cette intériorité mentale et qui est récurrente dans ma démarche est une façon de mettre en scène mon univers intérieur axé sur la solitude et la réflexion sur le monde qui m’entoure et qui est propre à ma personnalité. Oui, au fond ce que je recherche est l’intériorité, cette intériorité que j’aime à laisser venir en moi, la photographie est mon medium, elle est aussi mon récepteur.
Quels mouvements artistiques ou autres artistes influencent votre travail ?
Je n’ai pas le souvenir d‘avoir été influencé, même si je sais que l’on ne peut y échapper. Je crois que la Nouvelle Objectivité ainsi que l’École de Düsseldorf ont étés sans doutes des stimulants. Je pense aussi souvent que possible à Minor White et Paul Caponigro lorsque je voyage.
Quel type d’outils utilisez-vous pour le post-traitement ? Expliquez votre flux de travail.
Après de mon trip de soixante-et-quinze jours à travers les États-Unis et le Canada pendant l’hiver 2016-2017 j’ai passé deux semaines à Marseille afin d’y faire une large sélection d’environ cent-quatre-vingt photographies sélectionnées sur cent trente films après avoir passé dix jours dans mon laboratoire parisien pour développer mes négatifs noirs & blancs et faire mes planches-contacts.
Photoshop est mon outil principal, j’y scanne mes négatifs et revois le contraste et la densité pour ce qui seras les valeurs de référence pour le tirage définitif, je fais ressortir certaines zones de l’image afin de sublimer les valeurs du noir et du blanc.
Mon tirage est abouti lorsque j’y vois un certain lyrisme. Je fais alors un tirage jet d’encre, qui ne seras qu’un tirage d’archivage et de référence et simplement une étape dans la réalisation de mes tirages définitifs, qu’ils soient aux sels d’argents ou aux sels de palladiums, en aucun cas mes tirages d’exposition ne serons de l’encre sur du papier d‘impression. Ils seront précieux, selon le bon vieux procédé noble en photographie, celui que j’ai connu alors que j’étais encore enfant, à savoir de la lumière interagissant avec l’argent dans la gélatine afin d‘en modifier sa nature.
Quel type d’équipement utilisez-vous ?
Cela dépend de ma destination et surtout de la saison. J’ai ma préférence pour un vieux boitier Nikon F2 avec un 58 mm exceptionnellement lumineux, dans le genre de celui qu’avait Larry Burrows pendant la guerre du Viêt-Nam, avec son énorme moteur et un système de présélection du diaphragme automatique, révolutionnaire pour l’époque, accroché au boitier. J’aime beaucoup cet appareil et le bruit de son déclenchement, il est lourd, pas loin de 3 kg, ce qui lui donne vraiment une belle allure.
Lors de mes voyages j’utilise de la Kodak Tri-X qui m’accompagne depuis mon enfance. M’enfermer pendant trois mois dans ma chambre noire n’a jamais été un problème pour moi et j’aime l’odeur du fixateur le matin. J’ai depuis toujours ce plaisir à placer le négatif dans le passe-vue de mon agrandisseur Omega B8 des années soixante-dix aussi majestueux qu’une vielle Cadillac.
Vos idées sont-elles le résultat d’une étude précédente ou surgissent-elles pendant le tournage ? Expliquez votre processus créatif.
Un mécanisme de pensée est complexe à définir et je ne crois pas qu’il me soit possible d’y répondre avec certitude. Toutefois il est évident que toute intentions créatrices est le fruit d’un processus de réflexions qui évolue durant des décennies, de démarches intuitives en réflexions intellectuelles et qui finalement détermine l’action.
Lutter contre les illusions de la réalité a été et reste un combat permanent. Je crois qu’au fond, l’essentiel est de savoir placer son regard au bon endroit.
Il m’arrive parfois de me dire que tout est question de techniques, d‘expériences et de travail acharné, j’espère être dans l’erreur car que resteras-t-il de ces étonnants mécanismes de pensée et du miracle de la création ?
Préférez-vous la prise de vue sur place / en studio, lumière naturelle / artificielle
Mon activité de photographe est multiforme et extrêmement diversifiée. Je suis à la base photographe de mode et de portrait mais j’ai aussi un travail personnel, (que l’on appelle vulgairement de la recherche personnelle) à savoir du paysage, du portrait et du nu, plus communément appelé « paysage corporel ».
En ce qui concerne mon activité commerciale j’opère essentiellement en studio en lumière artificielle ou plus rarement chez le client en lumière naturelle, lorsqu’il s’agit de portraits institutionnels.
Pour le paysage, bien évidement je n’ai pas d’autre choix que de travailler en extérieur, toujours entre la fin de la soirée et le début de la nuit pour y retrouver cette atmosphère ténébreuse qui m’est cher. Pour le nu il se fait exclusivement en studio, dans l’intimité et en lumière artificielle avec l‘aide d’une grande boite à lumière en diffusion constante.
Y a-t-il un projet sur lequel vous travaillez actuellement dont vous aimeriez nous parler?
A la suite de la publication de mon premier livre en janvier 2020, Paysages & Transfiguration aux éditions k éditeur, je prépare déjà un travail sur la couleur, toujours vers un aspect du paysage crépusculaire, j’ai envie de découvrir le langage de la couleur qui m’est étranger. La couleur vise peut être à reproduire la réalité ou en tout cas a modifier la perception que nous pouvons avoir du réel et c’est une expérience que j’appréhende car il ne me suffira pas d’une Fuji Pro 400H pour faire de la photographie couleur, ma façon de penser la photographie de paysage devra être reconsidérée.